[Exposition] India Leire | Chimera
Cinq mois après notre entretien, comment les intentions d’India Leire évoquées alors se sont-elles concrétisées ? De quelle manière l’évolution de son rapport à la sculpture, au mouvement ou à la lumière prend forme aujourd’hui ? Si Chimera apporte en partie des réponses à ces questions, l’exposition donne aussi l’occasion de voir de quelle façon l’art et le thé peuvent cohabiter au sein d’un même lieu. Parce que l’animal fabuleux aux parties disparates, le cabinet de curiosités ou encore la littérature anglaise et japonaise sont des éléments acquis que l’on attend de retrouver, encore faut-il voir dans leurs variétés les pièces que l’artiste est capable de nous montrer quand Art/Ctualité (plateforme culturelle révélatrice de talents) collabore avec artéfact (épicerie fine + space project) pour lui consacrer un événement.
Chimera – Le projet
« Ici, on cherche à faire découvrir les talents, ceux d’aujourd’hui, ceux de demain. On cherche à générer des opportunités, à aider les artistes à émerger » (L’équipe d’Art/Ctualité)
Novembre 2014, Art/Ctualité consacre un article à India Leire. Pour Assia Zhiri, co-fondatrice de la plateforme, c’est un véritable coup de cœur pour l’artiste qu’elle continuera de suivre après coup, au détour du Prix Icart - Artistik Rezo, de l’exposition Curiosités à La microgalerie, ainsi que des autres événements qui jalonneront son parcours. Si India Leire n’est pas la seule artiste soutenue par Art/Ctualité, force est d’admettre qu’avec elle la plate-forme remplit ses objectifs. Et puisque l’artiste n’est pas indifférente à la cérémonie du thé, il paraîtra normal après avoir créé des liens avec les membres d’artéfact de proposer à India Leire une exposition dans leur salon.
Elle travaillait dans des espaces d’art aux Etats-Unis, il prépare le thé et le café, et depuis un an ils gèrent artéfact : salon de thé et espace projet situé rue des Blancs Manteaux, à deux pas du Centre Pompidou. Comme me l’expliquera Kylie, c’est un lieu plus ouvert qu’une galerie, où l’on peut tout mettre et voir à la fois. Mélanger chaque mois l’art, le thé, le sensoriel, le visuel, entre les deux, et plus encore. Artéfact fait parti de ces lieux où entre deux gorgées de pomme verte – citron – kiwi vous feuilletez le dernier numéro d’Art 21 à proximité, quand vous ne décidez pas d’acheter des ustensiles et produits biologiques variant les cultures, ou d’assister à une performance. Recherche de collaborations et projets innovants en tête, le croisement sur leur route d’Assia Zhiri et de son équipe ne pouvait que déboucher sur une opportunité.
Chimera – L’exposition
Côté vitrine, de nouvelles curiosités viennent s’ajouter au cabinet : Lewis Caroll et Kakuzo Okakura font place à Aldous Huxley et C.S. Lewis. Des Chroniques de Narnia, elle en conserve l’armoire magique qui mène à ce monde où se côtoient faune, lion et sorcière blanche. Quelques stalagmites trônent sur l’étagère du haut, et India Leire de me raconter qu’elle projette une grotte où mites et ctites cohabiteraient et laisseraient voir la chute lente et continue de ses eaux calcaires.
A l’étage, Out of the dark s’apparente à la structure de la double hélice de l’ADN. Une structure qui permet de générer une spirale continue, là où auparavant Parasites et autres Venus ne permettaient que de suggérer un mouvement circulaire à l’arrêt. Vu du dessus, le bestiaire d’India Leire semble avoir pris en compte le souffle vital qui anime la pensée chinoise. La sculpture est fixe, pourtant sa double hélice agit bien sur l’œil et provoque cette sensation de rotation perpétuelle.
Out of the dark (2016), plâtre, métal 95 x 90 x 90 cm
Derrière à un coin de mur, les huntsmen ne sont plus que deux, mais l’ombre projetée figure déjà autre chose qu’à l’Atelier Richelieu, tout comme le lien que ces deux créatures tentent de nouer au sol. On ne sait si ces particularités vivifieraient plus l’ensemble que trois tentacules face à un public, en tous les cas l’approche est plus subtile, plus sensuelle, de la même manière que les courbes se lovant l’une l’autre sont plus délicates. Oui, Tanizaki est bien passé par-là.
The huntsmen (series 2) (2016), béton, plâtre, sable 66 x 80 x 80 cm
Accroché au mur, des dessins. C’est là qu’au mouvement et à l’éloge de l’ombre l’artiste revient sur son engagement, sa contemplation des matériaux. De la feuille qui s’effrite à l’automne, de la main de l’homme ou pour toute autre raison, le trait vient relever l’absence de vie, alors que paradoxalement c’est bien elle qui a vocation d’animer son travail. La précision de traces asséchées, comme une sensibilité qui s’observe, celle d’une disparition dont l’on prend conscience par incision.
Mathieu Lelièvre
India Leire | Chimera
Exposition en cours à Artéfact jusqu’au 10 avril 2016
23 rue des Blancs Manteaux – 75004 Paris
Métro : Ligne 11, Station Rambuteau
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