Contributions

 

2016

 
- Coraline de Chiara - Une Histoire à digérer

 

De l’enfant qui se rêvait archéologue, nous en avons la trace lorsqu’au détour du papier, de la toile ou encore du mur Coraline de Chiara assemble des vestiges de l’histoire et de ses évolutions. Périodes, civilisations et autres phénomènes disparus sont ainsi exposés là, montés en couche ou plan sur plan, non pour ranimer une réserve d’images oubliées, négligées ou inaperçues, mais pour étudier les différents niveaux de lecture du réel et la portée significative de ces documents obtenus.

Si par endroits la réalisation fait réapparaître la Perse, une cité moruba ou une dynastie chinoise, ces informations compilées relèvent plus de la transformation que du ravivement. C’est qu’à la manière de la digestion, chaque élément est à mastiquer, détruire, réduire de taille pour une fois morcelé mieux être assimilé, mieux nourrir une vision qui ne se contente pas de redonner force à sa matière, de revivre la sensation de sa matière. Car il s’agit plutôt de regarder le passé avec appétence, de porter à ses objets un désir de faire, de devenir. Car il n’y a pas lieu pour l’histoire de se limiter à un sentiment nostalgique, mais bel et bien de se demander ce qu’il adviendra de ces choses pointées du doigt, en mettant à l’épreuve leur potentielle finalité. Entre création, information et didactique, qu’est-ce que l’image nous révèle de ce qu’elle met en scène ? A quel moment cristallise-t-elle à la fois l’origine de ses objets et leur possible manipulation ?   

Chez Coraline de Chiara, tout commence par le livre. C’est par le livre qu’est né son rapport à l’histoire et à l’art. C’est par le livre qu’elle a initié son contact avec le papier, papier qu’elle s’est mise à caviarder pour réécrire les choses, remettre en perspective aussi bien leurs mots que leur aura. Des mots qui conservent l’existant comme les photographies imprimées embaument le réel, la lecture n’est pas sans soulever quelques appréhensions : parce que l’image ne rend pas compte de la couleur d’un objet, parce qu’elle trahit un manque de netteté, le papier donne du réel une vision erronée, quand il n’incite pas à s’interroger sur la véracité de son propos. Que le document soit pris sur le vif, composé ou reconstruit, il y a là motif à activer une enquête, à déceler ce que cette dépendance à l’écriture et à la graphie entraîne comme degré d’information, comme graduation de la réalité, comme marge de liberté et de fiction. Annotations, ratures, gribouillis et autres chiffrages, toutes ces modifications de l’existant appellent à la lecture créatrice du réel, où parfois la note sur la page n’est pas forcément signifiante. Et si a priori sa formation de vidéaste – particulièrement dans le documentaire – traduirait cet intérêt pour le montage, c’est bien le livre qui s’affaire en premier lieu à travailler la matière, en étirant sa temporalité, sa spatialité, pour à la manière du téléphone arabe prêter à confusion et ériger ainsi les multiples erreurs de transmissions, d’articulations d’idées.

Du livre à la peinture, ou encore au collage, les éléments que Coraline de Chiara soumet à enquête apparaissent en deçà, comme pour baliser le terrain propice à toutes les mesures, qu’elles soient à portée de bras lorsque l’huile et le pinceau interviennent, ou que ces bouts de choses soient épinglées, fragments après fragments, cohabitant ensemble sur un même papier. Chaque strie, chacune des brèches mises au point sur le support est la preuve incarnée que chaque chose se frotte à une autre et que dans sa suite se produit successivement un plan de failles, où tout ne peut que passer là par arrachement. Sans doute est-ce là que la digestion tout autant que le jeu de société prennent chair : quand ce qu’il y a à domestiquer ne relève plus simplement de sa propre carnation, mais qu’à force de friction vigoureuse, de reliure comme de changement d’état, les chutes de ce qui reste agissent comme autant de parasites sur ce qu’il y a encore à penser. Quant à parler de déchiffrage, quant à s’essayer au déchiffrage, comme nous le rappelle le titre d’une de ses expositions passées : « La vérité est ailleurs. »

Avril 2016 (Texte publié sur Boum Bang)

 

Collectif What's What

What’s what ? Si la question implique la nomination d’une chose, la formulation d’une phrase permettant de saisir cette chose, c’est que d’emblée l’objet met à l’épreuve la perception que nous en avons, l’objet met à l’épreuve sa propre définition. Dans notre organisation du champ sensible, il s’agit alors de déceler ce qui relève de nos désirs, de déceler ce qui relève de la réalité. Entre le sujet qui perçoit et l’objet perçu, à quel moment sommes-nous lucides devant l’image ? Sous quelles conditions l’image est-elle conductrice de vérité ?

Eloge de la tromperie, entre erreur et mystification, cinq jeunes artistes se réunissent autour d’illusions qu’ils bâtissent, tels des pièges que nous nous devons d’analyser, où à travers nos jugements se mesure l’étendue critique et plastique des choses sensibles. Avec les réalités particulières qu’ils proposent, Laura Ben Ami, Bady Dalloul, Kamilla Gabdullina, Antoine Janot et Tao Mao se jouent du vrai et du faux et déterminent ainsi la persistance des choses à résister à toute élucidation, à toute correction. Pays de fictions, objets hybrides, souvenirs, rêves et compositions absurdes sont ainsi organisés, détaillés, diagnostiqués mais en tous les cas jamais dépassés. Sans doute est-ce là que l’illusion prend toute sa puissance : lorsqu’elle demeure, réelle, avec toute la part d’ombres et d’inductions qu’elle entraîne dans sa suite.  

Janvier 2016

 

2015

 

Exposition personnelle de Saïdia Bettayeb "Provoquer l'apparition" - Inlassable Galerie

A examiner la nature et le fonctionnement de ces oeuvres, l’expertise se heurte d’emblée à un entrelacement de techniques : ni totalement photographique, puisque les tirages bleus monochromes obtenus ne sont qu’une partie de l’ensemble, ni simplement pictural, car la toile et le châssis sur lesquels ils sont appliqués prennent d’autres valeurs que celles de surface et support. Dans cet entre-deux tissé, le sujet dont il est question dépasse le champ de la chambre claire auquel il aurait pu être destiné. Sans doute faut-il revenir à l’une des racines du mot photographie – graphein, peindre, dessiner, écrire – pour comprendre son lien avec la peinture, pour comprendre que les deux médiums aboutissant à une image, le détail poignant qui nous y intéresse ne peut se limiter à l’un ou l’autre.

Saïdia Bettayeb ne souhaite pas limiter ses images à la photographie ou la peinture. C’est dans une volonté d’étendre l’auréole de ses images que son travail peut être pleinement saisi. A sa manière, elle participe à l’imagination de l’eau et de l’air, aux formes et aux mouvements longuement étudiés par Gaston Bachelard. Cet imaginaire qui, nous dit-il, « se présente toujours comme un au-delà de ses images » et qui « est toujours un peu plus que ses images. » L’imaginaire de l’artiste empreinte dès lors un chemin de traverse. Un chemin qui désire traverser la matière pour en identifier les signes poétiques. Eau de surface, ciel bleu et constellations sont ainsi diagnostiqués, contrôlés, détaillés, et grâce à un mélange sensible à la lumière, apparaissent sur le tissu, ou plutôt apparaissent à travers le tissu et le bois du châssis, transparents.

L’image présente agit a priori comme une image radio. C’est lentement qu’elle s’imprègne en nous, et qu’explose soudainement une prodigalité d’images aberrantes.  En profondeur, le contraste et la substance de l’image révèlent un ensemble successif d’images empilées les unes au-dessus des autres. Chaque zone parcourue fait naître une nouvelle surprise, absente jusqu’alors, montrant une modification possible de l’entrelacs. Un entrelacs bleuté faisant l’éloge de la dilution, où objet, surface et support sont concentrés à égales importances dans la solution finale.

Ces couches de modernité, aussi bien scientifiques qu’esthétiques, nous destinent paradoxalement à une expérience lacunaire : à estimer la matière, à considérer les qualités de chacune de ses composantes, tout ou partie de la confection se masque derrière une sobriété et une neutralité légère, dérobant à la vue tel un voile les émulsions réagissant à la lumière, et rendant toujours plus fin tout point d’accroche. Un ciel pauvre de matière, une eau à la surface équivoque, le proche et le lointain concourent à une planéité qu’il reste à éprouver, rechercher sur toute son étendue spectrale : une partie de l’objet, de la trame, ou du bois, circulant dans un va-et-vient perpétuel des images. S’exprime enfin à ce moment, dans toute sa dimension poétique, l’imaginaire.

 Novembre 2015 

 

 

Exposition personnelle de Solène Ballesta "Evanidis" - La micro galerie

Conjuguant présent et passé, le travail de Solène Ballesta nous parle du féminin en ce qu'il contient à la fois de plus éphémère et de plus impérissable. "Evanidis" (qui est voué à disparaître en latin) constitue un lien entre une série de femmes aux origines diverses et leurs objets de prédilection qui les caractérisent en tant que personne. De cette relation aussi bien biographique qu'intimiste, l'artiste ordonne l'agencement et cadre une image qu'elle vient retoucher pour la sublimer. Ces portraits traduisent toute la beauté de cet instant éphémère. Un instant naturalisé par la photographie qui emprunte à la peinture européenne ses réflexions sur les vanités et l'impact visuel.

La photo enregistre le sujet qui déjà n'existe plus et capte par les objets des témoins qui resteront. De ces deux entités, Solène dresse un dyptique où les deux parties séparées se complètent. La composition danse entre le photogénique et le pictural, en jouant avec les âges artistiques : la subtilité graphique créé volontairement la confusion. Tout se convertit et se mélange dans un même espace où des drapés sur plusieurs plans rappellent distinctement l'histoire d'une peinture antérieure.

Bien plus que de remettre sur le devant de la scène la nature morte, les dyptiques de Solène Ballesta réunissent notre héritage et notre monde contemporain. Elle apporte à ses compositions une réalisation soigée et divine, à l'image de l'attachement et de la proximité nouée avec chacun de ses modèles. 

Novembre 2015

 

 

Exposition personnelle de Marvin Aillaud "Silhouettes fragmentées" - La micro galerie

Les peintures de Marvin Aillaud traduisent un attachement particulier à ses sujets dont il rend compte de leur condition tout en les préservant d'une visibilité qui leur serait nuisible. Un acte pictural ambiguë, autant que la vision fuyante que l'on pourrait porter à ces figures.

A l'origine, Marvin Aillaud photographie des instants. Pour l'artiste, ce medium emprisonne le réel en volant son identité au sujet. Avec la peinture, son objectif consiste à lui redonner sa liberté. Le flou est travaillé pour rendre anonyme les enfants de rue, immigrés, sdfs et sans papiers. Après avoir représenté son sujet de manière réaliste sur la toile, Marvin retire progressivement la peinture pour créer de nouvelles surfaces où l'image est morcelée ; jeu de technique entre térébenthine et blaireautage.

Des personnes, il en reste des Silhouettes fragmentées, sombres, oscillant entre tons vifs et fluo. La composition est ainsi voilée. Notre regard tente de percer des visages et postures disparaissant dans une atmosphère vaporeuse quasi fantomatique.

Septembre 2015

 

 

Collectif LUMO

"L'Année internationale de la lumière est une initiative globale qui vise à sensibiliser les citoyens du monde entier sur l'importance, dans leur vie quotidienne, de la lumière et des technologies qui y sont associées tels que l'optique. La Lumière et ses technologies participent pleinement au développement de la société. C'est une occasion unique d'inspirer, d'éduquer et de connecter à l'échelle mondiale." (UNESCO, Lancement de l'Année internationale de la lumière, 2015)

LUMO (lumière en espéranto) réunit cinq jeunes artistes autour d’un symbole de la raison et d’une puissance de vérité, qu’elle soit scientifique ou philosophique. Chacun d’eux apporte sa propre conception – autonome, critique et perfectible – d’une compréhension globale du phénomène physique et constitue le maillon d’un ensemble plastique aux réflexions optiques équivoques.

A l’image des hommes dispersés par le démiurge sur toute la surface de la terre après la tentative d’édification de la tour de Babel, LUMO lance un défi : rechercher la connaissance à travers des perceptions brouillées d’univers, d’une pluralité de langages dont seul l’entendement général permettrait d’en atteindre la source. Un cheminement rendu difficile par la multiplicité des signes mis en relation et fonctionnant comme autant de générateurs d’illusions, de révélateurs d’erreurs, au final d’absence de perception. La lumière dès lors apparaît comme une nécessité. Une première idée de ce qui est donné à voir avant même d’arriver à la saisir dans son entièreté, sans quoi la moindre appréhension en deviendrait impossible.

Si la première langue universelle a pris sa source dans la plaine où a été érigée la tour de Babel, cette plaine a aussi été le lieu où Dieu, par peur que les hommes ne touchent le ciel, par peur que rien ne leur soit inaccessible, brouilla cette langue afin qu’ils ne se comprennent plus. L’esperanto, plus de cent ans après sa création, reprend pour ainsi dire cette visée en atteignant aujourd’hui plus d’une centaine de pays à travers le monde. Comme cette langue autour de laquelle ils ont choisi de se fédérer, les propositions de Laura Ben Ami, Bady Dalloul, Kamilla Gabdullina, Antoine Janot et Tao Mao érigent la lumière au rang d’acteur facilitant la communication, en interrogeant ses limites à la fois spatiales et temporelles.  

Mai 2015

 

 

Laura Ben Ami

L’intérêt de Laura Ben Ami pour l’améthyste se rapproche de la manière dont les pierres fines sont considérées en joaillerie : un ensemble non précieux, mais dont la couleur et la transparence les rendent aptes à leur mise en scène. De la nature de la pierre, couplée à sa lapidation, se détermine ainsi le mérite de son appellation et de son ornementation par les experts. On ne peut nommer gemme n’importe quelle matière, de même que la gemme ne peut devenir joyau de n’importe quelle façon.

Les gemmes que présente l’artiste résultent d’une tromperie. Une tromperie faite de résine et papier, mais qui par son goût pour la lumière et la mesure fait persister en nous la rigueur de l’étude. L’espace d’exposition transformé en laboratoire de recherche, le travail déploie tirages, dessins et sculpture, appelant tous à la curiosité pour le minéral. Une curiosité dont il convient d’en regarder les différents aspects, aussi bien les contours que les faces, parce qu’il s’agit bien ici de démontrer, à travers son caractère brut et pointu, les multiples formes géométriques que contient en lui l’objet observé.

Tour à tour sujet d’expérimentation, sujet radiographique et sujet lumineux, la pierre semble ne pas avoir besoin d’être taillée pour apparaître comme telle. Dans sa forme la plus pure réside déjà un ornement, qui prend toute sa puissance grâce à la sensibilité lumineuse de la pierre. En approchant, en traversant la surface première des choses, surgit l’autre partie de lignes, ou plutôt une partie qui veut bien surgir, ajoutant de la sorte un maillon supplémentaire à un réseau pour le moins complexe. Il serait vain à ce stade d’expliquer en quoi ces pierres ne sont pas des gemmes : ce n’est pas l’intention de Laura Ben Ami que de dissiper cette illusion.                  

Mai 2015

 

 

Bady Dalloul

Le langage, en ce qu’il exprime une pensée, en ce qu’il la communique à travers un système de signes, nous permettrait a priori de percevoir l’autre, d’être perçu par l’autre, de s’identifier l’un l’autre. Mais ce serait oublier la valeur contextuelle du langage que d’y voir d’emblée un possible dessein universel. La traduction du discours, son isolement, sa mise en forme, sont autant de champs de points de vue que collecte Bady Dalloul dans le but d’émettre un doute vis-à-vis de la portée du langage, de sa perdition, voire de son absurdité.

En tant que réflexion sur l’information, sa qualité fantasmée ou réelle, les installations de l’artiste débutent par des éléments distinctifs d’un pays. Photographies, séquences visuelles et pistes sonores, phrases traduites ou retranscrites, les collections constituées à partir de ces sources définissent un réseau d’images dont la juxtaposition fait transparaître les idées préconçues, des archétypes collés à des civilisations dont l’exotisme qui en ressort ne fait qu’évoquer des représentations faussées de la réalité. Cette réalité tronquée mise en évidence prend place sur différents supports, tous aussi « étranges » que le propos qu’ils dévoilent : bols chinois en porcelaine, tapis persans, appareils téléphoniques, tables de lois, rien n’échappe à l’appauvrissement du contenu comme de son contenant.

A cette pauvreté du langage, Bady Dalloul porte un regard amusé, en reprenant à son compte cette confusion des codes pour créer en parallèle des objets et situations au-delà de l’absurde. Sans doute faut-il voir dans cette démonstration plastique des conséquences du post-colonialisme une volonté d’imaginer d’autres pays, mettant à l’épreuve le préconçu et ses limites. Des pays imaginaires replaçant l’étrange dans une voie plus acceptable, à la fois plus lointaine tout en étant plus proche, pour repousser les limites de la perception langagière. 

Mai 2015

 

 

Kamilla Gabdullina

Sous les couches de peinture, l’invisible à l’origine du processus. Remarque a priori anodine, mais, juxtaposée aux chantiers de Kamilla Gabdullina, qui prend une toute autre valeur. Car la puissance du chantier, en tant qu’espace de travaux, est bien d’être le lieu d’une construction et d’une démolition. Parce que c’est à travers ces deux actes qu’il s’agit ici de rechercher la lumière, ses différentes sources, sa constitution, son impact sur l’espace.  

Le lieu de la démolition chez l’artiste, définit en tant qu’espace global, semble détruire un ensemble paysager. Montagnes stratifiées, nuages de briques et ciel sableux s’abattent. La forme claire, tout comme le spectre colorimétrique employé, apparaissent effacés. Le terrain, dans sa transparence, traduit une lumière propre au désert. Résultat d’un mirage, phénomène causé par la chaleur, tout se creuse, s’évide, se distancie.

Le lieu de la construction, espace indéfini pour le moins microscopique, entasse en son sein une série de matériaux. Tasseaux en bois, début de murs et réseau d’objets indéterminés, propices au champ des possibles. Les éclairages y sont multiples, pour ne pas dire incertains ou trompeurs. La seule certitude de l’ensemble réside dans sa capacité de changement, dans sa monstration d’une évolution à venir : demain, une autre image déjà occupera la précédente.

D’un processus à double tranchant, dont la mesure réelle est dissipée par l’équivocité du geste, Kamilla Gabdullina met en scène un jeu de pistes en travaux, où créer la lumière revient à abstraire la matière, épurer la forme, pour rendre plus difficile sa recherche, son origine et sa diffusion. Lorsqu’elle s’interroge - en aparté de son travail - sur le modelage et la sculpture, sans doute faut-il y voir une modification de ses strates, entre ajout et retrait de matière, où construction et démolition se rejoignent, sur un terrain propice au mouvement. 

Mai 2015

 

 

Antoine Janot

Comme un rappel de son omniprésence dans nos sociétés modernes, la lumière manifeste son rôle nécessaire tout le long des vidéos d’Antoine Janot. Par sa présence, est possible de s’orienter, se localiser, d’évaluer le réel. En son absence, le temps et l’espace de la clarté s’effacent au profit du rêve, du champ de son interprétation pure. Que reste-t-il à voir et à ressentir lorsque, toutes lanternes éteintes, nous expérimentons l’heure du sommeil ? Lorsque nous expérimentons la poétique de l’obscurité ? Quels types de phénomènes physiques - voire psychiques - sont alors à l’œuvre ? Et quelles en sont leurs formes, leurs mouvements ?

Au-delà de l’épreuve de perception, c’est une réflexion sur la relation entre la lumière et l’obscurité qui est au centre du travail. Un travail mettant en perspective le caractère à la fois nomade et sédentaire du spectre électromagnétique. Nomade par son cycle d’alternance et ses jeux de déplacements enregistrés par la caméra, sédentaire lorsque l’image fixe une source sur laquelle l’œil peut s’attarder. Tout est affaire de transport, un monde transporté dans un brouillard où l’homme ne voit plus, où l’urbain et l’individu ne deviennent plus visibles, ou si peu, tels des masses de couleur dont la mémoire de ce qu’ils étaient l’instant d’avant reste incertaine.  

Cinéaste de formation, les œuvres d’Antoine Janot démontrent aussi une appétence pour la photographie. Conjuguant un montage d’images fixes et d’images en mouvement, ses narrations font l’éloge de la pause, tout en cultivant le flux, comme la transition : la lumière va et vient à l’écran et anime ainsi une trajectoire circulaire d’élans de vie, rythmés par une synchronicité propre à la musique concrète.  

Mai 2015

 

 

Tao Mao

Les oeuvres de Tao Mao reflètent un profond attachement pour l’âme, son souffle, sa respiration. A l’image du principe spirituel et immatériel qui anime le corps humain, ainsi que de son éducation bouddhiste, sa démarche ne se limite à aucun médium : peinture, photographie, vidéo et installation sont tous convoqués au service d’un concept qui, selon ses propres mots, « ne peut être touché ou attrapé physiquement. »

A travers la lumière, le son et l’eau présents dans l’espace, Tao Mao expose le dessein de l’âme, son caractère cyclique rythmé d’allers et de retours, les émotions multiples et contradictoires de la psyché humaine. Tout comme la roue tournant et formant ainsi une série de boucles en continue, la souffrance se voit succédée par l’euphorie, tout comme la peine par l’espoir. Enchaînement de pensées traduites par l’image et le son, dans une synesthésie qui pourrait signifier que parmi le chaos se trouve une certaine unicité, qui nous reste à chercher.  

Le travail nécessite de s’y concentrer. Pour y saisir toute son ambiguïté, ses flux et reflux, qui ne seront rendus accessibles qu’avec le temps. Les éléments mis en scène concourent tous à cette acceptation, et c’est là tout l’enjeu que d’arriver à les transmettre à l’autre, que de créer, selon le souhait de l’artiste, une interaction possible avec le public. Non pas une leçon, ou un enseignement didactique, mais pour qui s’attarde à éprouver l’image, pour qui s’efforce de tendre l’oreille - malgré les différences culturelles, historiques et linguistiques - d’expérimenter l’ordre à l’intérieur du chaos de l’existence humaine.

Jeu de captation, jeu de confusion et de réflexion sur soi-même, les émotions que nous invite à attraper Tao Mao sont autant d’entre-deux diffus au service d’un espace dédié à l’âme dont l’artiste interroge le côté palpable, sa mise en lumière, sa puissance de communication.

Mai 2015

 

 

Exposition personnelle d'IEMZA "Envol #2" - La micro galerie

« Toute ligne gracieuse décèle ainsi une sorte d’hypnotisme linéaire : elle conduit notre rêverie en lui donnant la continuité d’une ligne. Mais au-delà de cette intuition imitative qui obéit, il y a toujours une impulsion qui commande. A qui contemple la ligne gracieuse, l’imagination dynamique suggère la plus folle substitution : c’est toi, rêveur, qui es la grâce évoluante. Ressens en toi la force gracieuse. Prends conscience d’être une réserve de grâce, d’être un pouvoir d’envol. » (G.Bachelard, L’Air et les songes)

« Envol » est une invitation au voyage onirique, faisant appel à la mémoire et à l’imaginaire du spectateur. L’artiste réinterprète des édifices majeurs du monde en leur donnant une mobilité aérienne. Des propulseurs insufflent à ces monuments déracinés de leur socle une trajectoire ascensionnelle, offrant une étendue essentiellement ouverte à l’imagination du spectateur. Les lignes architecturales concourent toutes au même mouvement : elles transportent vers un au-delà de la perception en nous détachant de la réalité première des choses. Paris, Londres ou encore Moscou s’élèvent, sous les yeux ébahis d’habitants rassemblés pour l’occasion.

Les pièces d’IEMZA sont à l’image des illustrations d’Albert Robida, une « déformation à la fois extravagante et mesurée qu’il imprime aux personnes et aux choses. » Les marqueurs flirtent entre perspective en ligne de fuite et contre-plongée, dressant l’œil vers les hauteurs. Les emblèmes de l’artiste se reconnaissent aisément. Comme pour fédérer les habitants autour d’un futur où le statique se fait aérostat, ils se délestent de leur socle historique au profit d’un monde éthéré. La mémoire n’est plus à l’œuvre mais l’imaginaire de chacun.

Mars 2015

 

 

Luce de Tetis (pour La micro galerie)

Luce de Tetis définit sa dualité féminin masculin en renversant les rapports muse et génie. Elle défigure et recompose les corps pour faire vaciller les canons sociétaux qu’elle remet en question. Ses sculptures mettent à mal la virilité. Elles greffent avec excès de la chair sur de célèbres poupées squelettiques, et explorent ainsi une tension charnelle loin des codes sexués établis.

Pour l’artiste, la sculpture est un combat de l’ordre de la performance. A travers cela, Luce exprime une fragilité et une force d’un genre nouveau qu’elle dresse en extase. Ces corps transformés sont sublimés dans un espace où les hommes flanchent sur des piques et les femmes robustes flottent allègrement en l’air.

L’artiste utilise les mythes (Pygmalion, Narcisse…) tout en faisant appel aux problématiques de genre soulevées par Geneviève Fraisse, Marcela Iacub ou encore Giulia Sissa. Luce de Tetis suggère une atmosphère qu’elle qualifie de dalinienne, où viennent se rencontrer le trivial et le sacré, dans un jeu de rôles où les corps dévoilent toute leur complexité.    

Février 2015

 

 

Exposition personnelle d'India Leire "Curiosités" - La micro galerie

India Leire invite le spectateur dans un monde de fantaisie où le végétal et l’animal s’entrechoquent : Un monde mystique et magique peuplé de créatures, plantes et formes originales. L’artiste s’amuse de la fragilité de ses pièces ainsi que de leurs finitions précises pour séduire son public. Elle propose en même temps de créer le malaise et le doute, en suggérant une dimension plus obscure, portant le spectateur à croire que ses sculptures prennent vie, dans toute leur agressivité et leur instabilité. Les pièces d’India Leire sont ambiguës, elle les trouve elle-même inquiétantes.

La dualité attraction-répulsion est partout dans son travail. L’artiste puise ses inspirations dans des mondes imaginaires : la mythologie grecque, les contes pour enfants, en particulier Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll mais aussi Un Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare.

Les recherches d’India s’orientent vers des problématiques autour de la sculpture : comment peut-on faire croire au flottement ? Comment créer l’illusion du mouvement ? L’artiste joue avec les tailles de ses pièces et crée une sensation d’apesanteur. India nous offre un sentiment et une interprétation de la beauté que l’on trouve dans la nature et que l’on ignore au quotidien.

Janvier 2015

 

 

2013

 

- Chris Morin-Eitner (pour la galerie W)

 

« Angkor, aujourd’hui envahi par les lianes et sublime de poésie avec cette lointaine présence humaine que l’on peut ressentir encore… et demain Dubaï, Shanghai, New York, Rome, « le grand » Paris… Que deviendront ces espaces urbains, ces mégapoles « mégalopoles », ces civilisations aujourd’hui au sommet, mais sans doute voués à disparaître, comme les Mayas ou les Khmers ? » (Chris Morin-Eitner, Il était une fois… demain, 2010)

C’est en visitant les ruines d’Angkor en 2007 que la démarche de Chris Morin-Eitner a pris racine. De cette visite, il en retient l’effondrement de la capitale d’un empire, de son vaste complexe urbain, au profit d’un renouveau de la nature. Un renouveau où le bourgeonnement et la floraison des plantes envahissent librement l’espace, où les animaux seuls semblent y résider, où l’homme n’existe plus que par la présence de ses édifices en proie au déclin.

Diplômé d’architecture et intéressé par l’urbanisme, "surtout si celui-ci est laissé aux lianes et aux singes", Chris Morin-Eitner érige ses univers colorés, fleuris, et surréalistes en combinant photographies réelles de bâtiments icones du monde entier et détourages graphiques de tags, d’animaux, d’arbres, et de végétaux. De l’architecture la plus imposante jusqu’à la plus petite touffe d’herbe, chaque élément de ses œuvres a été photographié au préalable par l’artiste durant ses voyages, constituant ainsi un répertoire dont les images se comptent par plusieurs dizaines de milliers.

Son travail reflète l’idée de la vanité humaine, celle d’ériger des bâtiments aux dimensions monumentales, preuves tangibles d’une domination de l’homme sur la nature. Cette vanité, Chris Morin la renverse en redonnant les pleins pouvoirs à la nature. Entre les lianes proliférant sur la tour Eiffel et le pont de Brooklyn, la pyramide du Louvre perdue dans la savane, les nénuphars et roseaux entourant l’Opéra de Pékin, au milieu de tout cela, zèbres, girafes, lions et autres flamands roses ont élu domicile. Nulle intention ici d’évoquer le résultat d’un cataclysme, simplement de proposer une vision de la nature se réappropriant les lieux.

Octobre 2013

 

Benjamin Deroche (pour la Galerie W)

Benjamin Deroche se sert de la photographie comme d’un outil. Il se consacre aux lieux en les parcourant dans un premier temps. De ces stigmates d’endroits, face-à-face avec la nature, volumes placés là, il enregistre des traces permanentes dans l’espace. Opaques au départ, ses interventions font s’arrêter le spectateur sur des stimuli visuels, éloges d’une lenteur suggestive, d’invisibles n’étant plus là, où la neutralité laisse place à l’imagination poétique.

Avec « Tribute to Araki » l’artiste apporte sa vision humoristique à l’un des thèmes récurrents de Nobuyoshi Araki : le bondage. Le décalage provient du sujet attaché, un poulet de batteries à cinq euros. « Le poulet était accroché à une barre avec de la ficelle de ménage, confiait Benjamin Deroche à Libération, et je reproduisais des poses empruntées à Araki au fur et à mesure de la prise de vue. » Remplacer des corps humains par des poulets, c’est le parti pris du photographe, un regard amusé sur l’artiste japonais.

La série « Occultes » de son côté s’inscrit dans le paysage. Ici point de ficelles pour attacher le sujet, l’appareil enregistre simplement des horizons d’herbes ou de mers au-dessus desquelles semblent flotter comme par magie des drapés. Tenue secrète à l’image, occultée pour ainsi dire, l’intervention laisse aux sculptures la liberté poétique de s’exposer dans les airs.

« North Place pour Marguerite Duras » peut être perçue comme une évocation photographique des lieux particuliers de l’écrivain. Prises à Trouville, ces vues nous parlent des mythes et banalités de Marguerite, le balcon de son appartement, la mer, tout ce que le lecteur imaginait auparavant à travers les livres prend forme dans cette série. 

Septembre 2013

Toutes les contributions réalisées pour des galeries et des artistes, des plus récentes aux plus anciennes. (Pour toute demande : lelievremathieu85@gmail.com )