[Entretien] Pauline Lavogez | Adieu tristesse, et autres actions
Le 14 janvier, galerie laurent mueller, tandis que j’attends aux pieds de l’escalier menant au STUDIO survient un boum. A l’étage tout semble normal : le public discute allègrement le long d’un couloir, bière et communiqué de presse à la main, face à une performance projetée sur un écran vidéo et un court défilant sur un téléphone portable. Passé l’angle du couloir, certains font la queue pour regarder à travers une vitre ce qui se cache derrière la cloison occupant les trois quarts de l’espace. Cinq minutes passent, deuxième boum. Les conversations reprennent à nouveau, la queue pour la vitre s’amenuise et enfin se révèle ce qui provoque cette stupeur et ce tremblement : un bloc de pierre, relié à quatre câbles agencés tel un étrier supportant un ascenseur. Il faudra patienter cinq minutes de plus pour qu’un cinquième câble descende se poser sur cette cabine blanche, et qu’à l’aide d’un aimant elle puisse la remonter de quelques mètres pour finalement la relâcher et déclencher ainsi un troisième boum.
Après recherches, je découvrirai que Pauline Lavogez n’en est pas à sa première chute. Que l’expérience soit unique ou répétitive, toujours, elle travaille la vive surprise. Surprise du public, mais aussi surprise d’un cadre, dont l’artiste remet en cause les limites pour proposer une réflexion sur les causes et les conséquences de ces événements qu’elle provoque et qu’elle nous invite à percevoir. De la danse, puisque c’est de là d’où l’artiste vient, elle en a gardé le mouvement, et à travers l’installation, à travers la performance ou encore la vidéo, le mouvement est devenu action : action du corps, action des objets, sans oublier réaction des autres. Tour à tour Pauline Lavogez pousse, incite, violente ou blâme, et quand ce n’est pas le performer ou les objets qui agissent, c’est le cadre qui appelle, qui convie, c’est le cadre qui engage l’action. Et dans ce va-et-vient entre cette chose qui s’anime et ce cadre qui l’anime, il n’est pas dit que l’on attribuera avec certitude l’action à l’un ou à l’autre. Et dans ce va-et-vient avec l’un ou l’autre, au public, toujours, est demandé son attention, est requis sa mise en condition. C’est de cela que nous discutons lorsque je lui propose un entretien.
L’autre, son inconfort, sa patience
Si c’est l’action des images qui à première vue habite le travail, chez Pauline Lavogez cette action dépendra toujours de l’autre. Parce qu’une action pour être déclenchée nécessite une cause, parce qu’une action pour être perçue nécessite une conséquence, il faut donc créer du lien. Créer du lien non seulement entre l’artiste et les éléments avec lesquels elle interagit, mais aussi entre ces éléments et l’autre qui perçoit. Si les arts vivants ne cessent de se déplacer de l’espace scénique auxquels ils étaient rattachés vers le public, encore doit-on déterminer les moyens les mettant en relation avec ce public. Introduire, amener l’autre, le « frapper » par quelque chose d’inattendu, l’artiste a bien conscience que la mise en scène ne peut être pensée sans remettre en question le confort de l’autre. Le confort comme un état, où en situation la position de l’autre, son ressenti, est habituellement agréable, ou pour le moins passif. Ici, c’est l’inverse que Pauline Lavogez saisit. Pour que l’action prenne sa pleine puissance, elle devra nous être désagréable. Pour que l’image se projette pleinement, elle devra nous mettre en tension.
Avec le désagréable, avec la tension, chez l’artiste vient le bruit. Qu’il soit le produit d’un bloc relâché, d’une chaise « qui se suicide » ou encore d’un morceau de terre projeté, le bruit est sans harmonie, imprévu, aléatoire. Le bruit est perturbation. Il n’est pas anodin de se rappeler toutes ces caractéristiques qui émanent du bruit et qui l’oppose généralement à la musique. Même s’il peut potentiellement se répéter, voir être rythmé ou encore régulé, ce son interviendra toujours pour changer notre état premier. Comme une habitude ancrée en nous qu’il convient d’interrompre, au même titre que l’image qui par moments cherche à nous exciter ou nous entraîner ailleurs.
Feu I, Vidéo, 1 mn, 2012
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Reste dans ta vallée, installation, vidéo, 1min 35, 2013
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Et quand ce n’est pas le bruit qui interrompt nos habitudes, c’est la patience de notre regard qui est mise à l’épreuve. Attendre son tour voir ce qui se cache derrière une vitre, mais aussi attendre que l’action débute, comme par exemple avec ces jambes nues sur l’herbe qui mettront une dizaine de seconde avant de sautiller et piétiner en continue ces brindilles sur un certain périmètre. Comme avec ce visage sous l’eau qui s’autorisera à revenir à la surface après une vingtaine de secondes. Des secondes qui parfois semblent durer des minutes, où par assimilation nous patientons autant que le performer. Nous ne sommes ni en plein air, ni immergé, mais pourtant…
Chasse le naturel... 2, vidéo, 1min 50, 2013
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Feu III, vidéo, 1min 10, 2014
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Le cadre, son mouvement, son montage
Si l’action nous paraît aussi simple que l’onomatopée pouvant la résumer nous est familière, c’est que dans sa suite elle ne cherche pas à détailler les éléments constituant son récit. Du schéma narratif, Pauline Lavogez n’en garde que les péripéties. Des péripéties qui déambulent dans le cadre ou dans l’espace, et qui n’ont pour unique vocation que d’être perçues, et d’interroger l’étendue de cette perception. A quel moment l’action devient-elle perceptible ? Question anodine a priori, mais qui ici nous force à définir ce qui agit et ce qui est perçu. Dès lors qu’un cadre ou qu’un espace interviennent, ou encore le bruit, il n’est pas dit que ce soit l’image seule qui agisse. Et quand l’artiste prend conscience de cette image qui agit tout autant que ce cadre, commence alors pour le public le réel travail de perception. Perception de ce qui cause le mouvement, perception de ce qui cause le montage, quand le cadre et l’espace cessent de n’être que des capteurs pour participer à leur tour à l’action.
Avec Feu II, dos au cadre, Pauline Lavogez scrute l’horizon. Elle n’attendra que quelques secondes pour marcher au loin et aller se fondre dans la brume désertique. Comme pour lui échapper, la performeuse ne mettra qu’une minute pour disparaître du champ de la caméra. C’est bien elle qui se déplace, c’est bien le cadre qui capte cette disparition, mais il n’y aurait pas d’action sans la présence de ce champ de vision. Et quand il ne se contente pas d’être posé là, comme dans Au creux de la vague, acte 1, c’est lui qui vient chercher à tâtons dans l’espace une trace, un égouttement, un bruissement, c’est lui qui par sa présence fait sourire une grand-mère derrière sa fenêtre.
Feu II, vidéo
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Au creux de la vague, acte 1, 6min, 2015
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Au creux de la vague, acte 3. Tantôt c’est le corps qui déclenche le mouvement, tantôt c’est le cadre qui décide de se baisser ou se relever, quand ce n’est pas l’image qui est coupée. De la surprise comme de la patience, du cadre comme de l’image, c’est ici que se concentrent les allers et retours d’une réflexion qui nous fait douter sur les origines de ce qui est mis en scène, de ce qui génère le rythme. Encore une fois l’action est simple, parfois furtive, mais pour mieux nous permettre de nous focaliser sur ces effets dont la certitude tend à être remise en jeu continuellement. Sans doute est-ce là que le cadre devient autre chose qu’un simple capteur : comme dans Chasse le naturel… 4, où il devient nécessaire pour animer cette vague qui a priori ne va ni ne vient, si ce n’est en forçant le regard, en tendant l’oreille, et ainsi générer une action aussi simple soit-elle.
Au creux de la vague, acte 3, 7min, 2015
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Chasse le naturel... 4, vidéo, 7min, 2013
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Mathieu Lelièvre
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