[Exposition] Paysages Sublimés au Centre d'Art Contemporain Chanot

30/03/2016 20:32

 

« A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseignés la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J’ose même dire qu’il y en eut. Mais personne ne les a vus, et, ainsi, nous ne savons rien d’eux. Ils existèrent le jour où l’Art les inventa. » Oscar Wilde, Le Déclin du mensonge, Intentions (1928), trad. H. Juin, Ed. UGE, col 10-18, 1986, pp. 56-57

 

Si je suis toujours sceptique à l’idée de voir un communiqué parler paysage et invention en conviant uniquement à la table l’Europe moderne (qu’aurait eu à dire Oscar Wilde en voyant une colonne de fumée de Guo Xi peinte neuf siècles avant un brouillard de Turner ?), force est d’admettre que l’imagination du brouillard qui anime en partie les pièces exposées prête à réflexion. Nuage stratifié, gouttelettes d’acrylique et autres troubles affectant la vue, il y a dans ces images de brume quelques impressions pour l’œil à expérimenter. Spéculer sur la description des images, sur le mouvement de ces images, sans doute est-ce là que la perception nous fait douter comme elle confirme son sujet : c’est bien la nature qui est au centre des préoccupations, c’est bien son imitation qui est remise en cause, mais en condensant la matière, l’étendue de cette matière, il n’est pas dit avec certitude que ces entrelacs donnent à voir uniquement la nature. Comme pour nous rappeler que la réalisation d’un paysage ne se contente pas de mettre à plat le réel, les effets du réel, il s’agirait alors de considérer les propriétés d’un médium qui chemine sa propre activité, et ainsi de discerner comment cette activité influe sur notre visibilité, son infériorité, autrement dit de voir comment se présente à nous le brouillard et ce qu’il figure dans sa suite.

 

Paysages sublimés - Morceaux choisis

 

Du sublime, la fumée bleu ciel d’Hicham Berrada est celle qui s’en approche le plus. « Comme la foudre il disperse tout et sur-le-champ manifeste, concentrée, la force de l’orateur. » (Longin) Elle se répand là, dans cette clairière teintée d’un ciel gris. D’abord elle vient camoufler la cime des arbres au loin, puis s’élève promptement pour dissoudre la voûte, avant de se rapprocher sur le devant de la scène pour tout engloutir. Si cet écran de fumée masque les éléments de cette zone boisée jusqu’à les rendre imperceptibles, la tactique, comme le rappelle le nom de cette vidéo, semble plus venir du ciel que d’un artifice militaire. C’est que parmi les couleurs qui dominent là-haut au moment de cette dense émission, l’on pourrait presque croire que l’habilité et la tromperie qui s’avancent jusqu’à nous serait le fruit d’un refroidissement, à la manière d’une masse d’air imaginaire qui passerait au-dessus d’une surface.

   

Celeste, 2014, vidéo couleur, ciel gris, fumée bleu ciel, 5min 55 - Courtesy the artist and kamel mennour, Paris

Dans les arbrisseaux d’Anne Laure Sacriste, c’est le pictural qui se fait brouillard. Un brouillard d’acrylique composé de gouttelettes colorées coulant sur l’ensemble du panneau. Derrière cette précipitation de couleur se distinguent faiblement les arbrisseaux épineux en présence dont on ignore la nature. C’est que dans cet amas de tonalités à la fois transparentes comme vigoureuses, l’acrylique est plus présent pour lui-même qu’il ne réalise son paysage, l’acrylique déréalise le paysage plus qu’il ne le figure. Et là, entre deux absences, au loin, seul le vide persiste encore à nous rappeler que l’on regarde un tubercule. Car une fois dans le détail du ruissellement, la couleur, ou plutôt les couleurs, demeure dans sa chute autonome, pour ne jamais cesser de voiler son arrière-plan.

   

Turbecule à la mousse multicolore, série Paradis Artificiels, 2008, détail

Projetés sur un papier peint imprimé figurant des bandelettes bicolores, les deux déserts de Ludovic Sauvage composent l’un dans l’autre un troisième désert, dont l’animation tend à brouiller la visibilité autant qu’à l’étendre. Comme un fragment dont la brièveté serait mise à l’épreuve, chaque morceau défile et se superpose à un autre avant de réapparaître dans ce tout optique qui semble ne jamais se terminer. A concentrer le regard, à analyser les composantes de ces parties, il s’agit bien là de rochers, il s’agit bien là de cactus, mais à continuer l’expérience, à continuer la perception, rien ne dit que les informations présentes nous renseigneront sur ces deux déserts. Sans doute parce qu’il n’y pas lieu de tracer deux déserts, ou plutôt qu’ils se contentent d’être là pour le troisième dont au bout des 26 minutes constituant l’animation nous aurons peut-être une idée.  

          

Deux déserts - Motion Picture, 2013-2015, Animation 3D, 26min 30 - Courtesy the artist and Escougnou-Cetraro

 

Mathieu Lelièvre

 

 

Paysages sublimés

Exposition en cours au Centre d’Art Contemporain Chanot jusqu’au 03 juillet 2016

33, rue Brissard – 92140 Clamart

 

Pour en savoir plus

Centre d’Art Contemporain Chanot

Hicham Berrada

Anne Laure Sacriste

Ludovic Sauvage