[Exposition] Nour Awada | D'entre les brèches jaillit l'écume

07/12/2015 19:19

 

Janvier 2015, Nour Awada apprend qu’elle est la lauréate du Prix Icart - Artistik Rezo 2015, chèque de 3 000 € et exposition à la Galerie Artistik Rezo à la clé. Accessoirement, elle apprendra aussi qu’elle est enceinte.

 

De l’urgence de créer quand on est enceinte

 

Si cette nouvelle était pour le moins inattendue, elle suscite chez Nour Awada le besoin de prouver que les femmes artistes peuvent continuer de produire des œuvres « malgré leur grossesse. » Parce que les galeristes ne font pas confiance à ces femmes enceintes susceptibles de moins travailler, de produire des œuvres de moindre qualité, donc d’être moins rentables, l’artiste décide en conséquence de réaliser pièces sur pièces de février à septembre, et cela sans interruption, au grand détriment de son médecin traitant qui la menace de la mettre en arrêt.

Comme nous le rappelle le Comité des Artistes-Auteurs Plasticiens dans son article daté de mars 2015, en plus de représenter 40 % des personnes affiliées à la MDA ou l’AGESSA, le revenu moyen annuel des femmes s’élève à 22 000 €, quand celui des hommes s’élève lui à 33 000 €. Il va sans dire que quand votre galeriste apprend que vous êtes enceinte, ce revenu moyen annuel est susceptible de baisser, quand le galeriste ne décide pas tout simplement de rompre votre contrat. Aussi, lorsqu’en plus vous faites partie de la jeune création actuelle, et que cerise sur le gâteau les collectionneurs vous incitent à brader vos prix pour faire grimper votre côte, il n’est pas exagéré de parler d’urgence. Pour Nour Awada, tout l’enjeu est là.

 

D’entre les brèches jaillit l’écume – Un rapport à la terre renouvelé

 

C’est donc à la Galerie Artistik Rezo que je retrouve l’artiste pour son exposition. Sculpture, dessin et vidéo au rendez-vous, nous nous posons entre La fratrie et Le Père. Urgence créative mise de côté, la grossesse de Nour Awada change sa relation à la matière. Si auparavant mythes et sensualité étaient au programme, les figures qui nous entourent sont chargées d’une aura plus latente. 

La fratrie, 2015, faïence, dimensions variables - Crédit photo : Nour Awada

Quelque chose à l’intérieur de ces réceptacles se manifeste, et la terre qui la contient en garde des souvenirs comme autant de sensibilisations à cette chose lovée qu’aux parois du réceptacle lui-même. Il ne s’agit plus de « glisser le doigt dans un trou pour y déposer un vœu » comme le proposait Glory Hole II, ou encore de mettre en scène des fragments corporels et donner l’envie au spectateur de les toucher, mais plutôt d’être attentif à cet être vivant qui peut sortir, et cette enveloppe protectrice qui empêche cette sortie de se faire. Et comme pour appuyer cette dimension biographique du travail, je me rappelle de son intérêt pour les Matriochka. A l’image des poupées russes, les figurines de l’artiste apparaissent creuses, à la forme ovale et sans mains, mais ici point de vêtement traditionnel, historique ou féerique. Pas de peinture ou d’ouverture. Le bébé à l’intérieur ne se révèle pas. Seules les fissures d’une tentative d’éclosion sont visibles, visibilité renforcée par l’éclairage. Tout concoure entre maturation du dedans et dégradation du dehors, entre mémoire de la forme et pleine croissance.

Le Père, 2015, faïence, 37 x 16 x 17 cm  - Crédit photo : Nour Awada

Ces poupées ébréchées sont au final un prétexte à l’objet emboîté, objet qu’elle me confiera passer plus de temps à polir qu’à monter. Cette obsession pour le poli la renvoie à sa relation à la terre, dont elle affirme ne pas en être la maîtresse. Parce que la terre a cette mémoire de forme, elle la considère comme vivante. Parce qu’après séchage et cuisson la pièce ne correspond pas obligatoirement à ce qu’elle en attendait, son geste doit être suffisamment mesuré pour que la terre l’imprime. Nour Awada semble ne jamais être satisfaite, comme la terre semble toujours lui résister. Sans doute est-ce là que la croissance évoquée plus haut est la plus pertinente. Dans le fond, ces figures ne sont nécessairement pas terminées, parce qu’elles permettent alors au propos de prendre son ampleur.

 

De la poupée russe à la boîte à secrets

 

Dire que les œuvres de Nour Awada ne contiennent plus de mythes et ne font que de nous parler de sa grossesse serait réducteur. Le corps, aussi bien séducteur qu’allégorique, constitue la matrice de son travail. Quant à l’objet emboîté, il faut remonter plus loin que Janvier 2015 pour en saisir les tenants et aboutissants. Lorsqu’en 2013, l’artiste est accueillie par un établissement scolaire de Saint-Ouen dans le cadre de son programme artistique de transmission.

La Boîte à secrets, 2015, faïence - Crédit photo : Nour Awada

A l’origine, me raconte-t-elle, l’objet emboîté est un projet collectif. L’idée : faire fabriquer aux élèves des boîtes en faïence, y déposer un secret, puis de refermer la boîte et de la mettre au four. Les secrets brûlés, chaque boîte est installée, empilée, formant un mur de boîtes à secrets. En-dessous de ce mur, un socle sonore chuchote chaque secret enregistré. De ce projet éducatif terminé à la fin de l’année scolaire 2014, Nour Awada le prolonge depuis en faisant participer d’autres artistes à la réalisation de son mur des secrets. Pour l’instant, elle accumule déjà une centaine de boîtes. Dans l’idéal, elle en voudrait au moins mille.

Tout comme les poupées, l’objet emboîté exposé à la Galerie Artistik Rezo mature en son sein comme il se dégrade en dehors, et comme elle me l’affirme, il est une trace d’un futur projet de résidence, par conséquent lui aussi encore en mutation.

 

Mathieu Lelièvre

 

Nour Awada | D’entre les brèches jaillit l’écume                                                                                          

Exposition en cours à la Galerie Artistik Rezo jusqu’au 17 décembre 2015                                                         

14, rue Alexandre Dumas - 75011 Paris                                                                                                           

Métro : Ligne 9, Station Rue des Boulets

 

Pour en savoir plus :    

Nour Awada (Cliquez ici)                                                                                                                                       

Galerie Artistik Rezo (Cliquez ici)                                                                                                                       

Prix Icart – Artistik Rezo (Cliquez ici)

Programme AIMS (Artiste Intervenant en Milieu Scolaire) des Fondations Edmond de Rothschild (Cliquez ici)