[Exposition] Collectif Plasma | Focale
To zoom. D’abord une onomatopée anglaise, un bourdonnement, un vrombissement. Puis viennent les avions, et dans leur suite l’imaginaire d’un « déplacement rapide ». Si ce verbe ne relève plus simplement de l’aérien ou du photographique, il active toujours une concentration, une attention. Aujourd’hui la nature de cet objectif à focale est aussi variable que les éléments à l’image qu’il tente de préciser, mais il questionne toujours une distance, il questionne toujours un angle de champ.
Le zoom exprime autant un changement qu’une traversée. Par lui l’image se transforme, par lui nous transitons d’une échelle à une autre. C’est qu’avant d’être une caractéristique visuelle, le zoom est un état. Temporaire, il invite à la saisie. Et dans le cadre d’une exposition, collective qui plus est, on ne sait par avance et avec exactitude sur quoi il opère, ou plutôt par qui est-il opéré.
Focale – Le collectif
Lorsqu’ils m’annoncent leur future exposition à la galerie JedVoras, j’y voyais là l’occasion de revenir avec eux sur les raisons ayant poussé Aranthell, Jérémy Lucas et Aurélien Vret à former le collectif Plasma. Entre deux cafés et quelques crêpes, et en présence de Benoît Blanchard, Aranthell et Aurélien Vret me racontent leurs débuts.
Nous sommes en 2011, Aurélien Vret (DNSEP – ISDAT à Toulouse) invite Aranthell (Esthétique et Arts Plastiques à la Sorbonne) à effectuer avec lui une résidence sur le dessin contemporain aux Maisons Daura de Saint-Cirq Lapopie. De cette résidence naîtra l’idée de créer un collectif. Et parce qu’on ne peut parler de collectif lorsqu’on ne compte dans ses rangs que deux membres, Jérémy Lucas (ENS Louis Lumière, rencontré par Aranthell à la Sorbonne) rejoindra l’aventure. Le collectif voit le jour en 2013. Pour ces deux plasticiens et ce photographe, il n’a pas vocation d’être une contrainte. Informel, il s’agira avant tout d’une cohésion à la fois amicale et esthétique, où chacun s’y implique comme il le souhaite. Le collectif est un ensemble, malléable selon les besoins, offrant une visibilité supplémentaire à ses membres en parallèle à leurs activités artistiques personnelles. Sélectionner des travaux aux directives multiples, en dégager un sens, et établir un projet curatorial avec, d'où le nom de Plasma.
Première exposition en 2014, Etats liquides (à La Maison des Ensembles, 12e) s’inscrit dans une logique de laboratoire, où dessin, peinture, photographie et sculpture explorent les divers états de matière, le liquide en l’occurrence. Paradoxalement, le lieu n’est pas approprié à une exposition, mais pourtant, le collectif décide d’y déployer à chaque étage un état différent, correspondant aux œuvres choisies, accordées le temps de la monstration.
Focale jouera sur la même structure qu’Etats liquides : exposer des propositions hétéroclites rassemblées autour d’un même thème dont la lecture - non-obligatoire - s’effectue à travers le dispositif. Mise en réseaux des œuvres, mais aussi similarité dans la manière de travailler : la série, la récurrence, le quotidien, d’où l’invitation lancée à Benoît Blanchard.
Focale – L’exposition
Rue de Patay, à quelques minutes de la BNF, la galerie JedVoras est toute en longueur, segmentant son espace en trois parties : côté rue, couloir, côté cour. Avant même d’entrer, les baies vitrées donnant sur la rue offre une perspective d’ensemble des parties : pour tout voir, il faudra faire l’aller et retour jusqu’au point de fuite. A l’intérieur, pour jouer la focale, il faudra esquiver le trop plein de monde, quand on ne se contentera pas de gros plans, voire d’absence de plans.
Côté rue, des séries de peinture en vis-à-vis. A gauche, un jeu de tir à la première personne, à droite, des vues nocturnes. Il faut reculer pour mieux les apprécier, il faut s’en distancier pour opérer la mise au point. Nettes, vues d’ensemble tel un polyptique, c’est là que l’unité dans la diversité s’effectue, que ce qui dans un processus semblable devient singulier. A chaque tireur son arme et son tableau, à chaque vision de nuit sa date et son artifice lumineux.
Côté couloir, un ensemble de portraits photos et deux combinaisons typographiques. Tirées en noir et blanc, ces micros avatars punaisés paraissent comme sortis du jeu de société dépassé comme du banal. Parfois, le portrait est noir, à la manière d’une carte retournée, cachée, à deviner, similaire à toutes les autres. Les grandes toiles lettrées à quelques mètres oscillent entre superposition, orientation et graissage. Et là, dans ce surplus de signes et de couleurs, quelques courbes greffées à d’autres forment malgré tout distinctement une voyelle.
Côté cour, des mouches prennent la pose sur une fenêtre picturale, à défaut de celles existantes quelques mètres plus haut. Derrière, l’architecture est flou, sur les bords, le blanc de toile cadre le tout. Dans le renfoncement de gauche, un socle à l’image d’une table inclinée présente quatre dessins bleutés, espacés sur une feuille étirée aux quatre coins. Des morceaux de bois. A s’approcher, la couleur cesse de parasiter les nouages, de parasiter le tracé, son observation, son devenir. Adjacents à la table, des yeux rouges. Comme ceux négligés par l'oeil quelques instants côté rue, en hauteur et derrière le rideau. Face à la table, autre série photographique, autre noir et blanc, autre espace, autre quotidien.
Focale – Les artistes
Aussi hétéroclites que scénographiques, les images d’Aranthell sont avant tout affaire de panel, de liste. Des objets différents, particuliers et communs qu’elle collecte – aussi bien dans son espace familier qu’en extérieur - elle en dégage une série d’études donc chaque image fonctionne tel un tiroir qui s’intègre à un sondage cherchant la représentativité, visant l’objectivité. A parler de désir totalisant, elle m’évoquera Georges Perec qui à vouloir dessiner mentalement la pièce qu’il voit tout autour de lui réalise l’impossibilité de son entreprise. Tout comme l'un de ses auteurs de prédilection, les peintures d’Aranthell ne collent pas complètement à la réalité. Pourtant, malgré les déformations apparentes, elle essaye d’y être au plus près, par ses moyens, avec son œil.
Dans chacune des vues d’Aurélien Vret, qu’elle soit nocturne ou typographique, une lettre se promène. C’est qu’avec ces systématismes qu’il met en place, il travaille aussi bien l’image que le texte. Le fond noir, la nuit, et le dessin industriel agissent chez lui comme un challenge pictural, où il tente de cartographier l’architecture – au sens large – de ces lieux standardisés qui pourtant ne cessent de bouger, de ces espaces inondés de signes qu’ils en deviennent invisibles. Alors, dans ce brouhaha qu’il photographie, qu’il récupère ou qu’il vectorise lui-même, il reproduit après-coup avec la peinture ces variantes d’un réel préexistant, aussi agressif et abondant qu'une réclame, dont les tons composés donnent l’impression que ces interfaces industrielles entrent en vibration.
« Le nez dedans » en permanence, Benoît Blanchard fait la mise au point : chaque dessin est relevé, réalisé de très près pour être regardé dans son ensemble. Paradoxalement, au travail, il regarde ses traits comme l’on déroule et enroule au fur et à mesure de leurs lectures les rouleaux portatifs, lorsqu’ils ne sont pas encore suspendus. Chez lui, l’emploi de la couleur est neutre. C’est qu’il ne cherche pas sa narration, encore moins son interaction avec d’autres. Le dessin prime avant tout, à la manière du laboratoire, il recherche l’optique scientifique, le côté maîtrisé du botanique. Loin d’être cependant des travaux d’archiviste, les dessins laissent leur part au geste, l’empreinte n’est ni froide, ni fade. Sans doute est-ce là, par contraste avec ces morceaux de bois bleus, qu’interviennent ces yeux rouges : gribouillis à la volée d’un sentiment à la fois nerveux et calme, sentiment a posteriori du moment auquel il est rattaché, du moment qu’on n’avait pas vu venir et qui déjà disparaît, s'éloigne. Plus qu'une anecdote, sans intérêt.
Mathieu Lelièvre
Focale
Exposition en cours à la galerie JedVoras jusqu’au 30 janvier 2016
! Finissage le 29 janvier à partir de 18h !
18 rue de Patay – 75013 Paris
Métro : Ligne 14 Station Bibliothèque François Mitterand, Ligne 7 Station Porte d’Ivry
Pour en savoir plus :