[Entretien] Cécile Chaput | Février 2016

04/03/2016 22:14
 
Les encombrants correspondent aux déchets qui, du fait de leur poids et de leur volume, ne sont pas pris en charge par le service de collecte des ordures ménagères.
La loi n’établit pas de liste des encombrants, mais en pratique il peut notamment s’agir :
. du mobilier (table, chaises, armoire…),
. de matelas,
. de sommiers,
. d’appareils de gros électroménager (lave-linge, réfrigérateur, gazinière…) si la commune les accepte en tant que tels.

Extrait de la Fiche pratique : Encombrants (déchets volumineux), Vérifié le 28 janvier 2014 – Direction de l’information légale et administrative (Premier ministre), Service-Public.fr

 

Elle ne travaille ni pour un centre, ni pour un dépôt-vente ou une association. Pourtant, à la manière de tous ces recycleurs qui pensent à une deuxième vie pour les objets, Cécile Chaput artialise des encombrants des années 50 qu’elle découpe pour les monter et produire ainsi des œuvres in situ. Eloge de l’embarrassant et du kitsch, de ce qui est passé inaperçu ou tombé dans l’oubli, chaque installation se présente comme un solide géométrique éclaté dont les faces planes se rencontrent au détour d’un angle de mur, le dessus d’une porte ou à même le sol. Chaque installation se présente comme un parachutage au sein d’une époque remise en jeu que chacun est invité à percevoir selon son propre prisme. Là, à l’entrée de cet espace fragmenté lové à l’under construction gallery, je discute avec l’artiste et Mireille Ronarch (directrice de la galerie) de ce rapport au déchet volumineux et au temps. Ensemble, nous revoyons comment cette réappropriation est née et ce qu’elle combine dans sa suite.      

   

 

« Ouvrez les yeux, ayez l’esprit ouvert, rien ne sera plus jamais tout noir ou tout blanc »

 

A parler de temps, lorsqu’elle choisit de mettre en scène les années 50, Cécile Chaput se situe en décalage par rapport aux autres. Plus proche de ses grands-parents et de leur époque, quelque part, il y a chez l’artiste une volonté de « respecter » l’histoire familiale qui se construit. S’intéresser à l’histoire familiale, mais aussi à l’âge d’or des soap opera ou encore des comédies musicales dont elle apprécie « la mise en scène terrifiante du bonheur ». Entre drame et comédie, nostalgie et critique, il ne serait pas anodin de la trouver assise sur un canapé à regarder la série en noir et blanc Pleasantville avec Tobey Maguire. Il ne serait pas non plus anodin, une fois téléportée à l’intérieur, de la voir mettre cette petite ville parfaite sens dessus-dessous comme Reese Witherspoon en y ajoutant un peu de couleur. Qu’elles soient produites par l’un ou par l’autre, si ce micro-univers daté et rangé explose, l’artiste laisse néanmoins au public la liberté d’interpréter les causes de cette explosion. Sans doute est-ce là que le kitsch s’exprime le mieux : quand en bondissant dans le passé nous sommes libres de nous réjouir ou d’être dégouté, voire peut-être même, comme les personnages du film de Gary Ross, de changer d’avis en passant du bon temps là où l’on ne se rendrait pas d’emblée. Ce n’était peut-être pas mieux avant, ce n’est peut-être pas mieux aujourd’hui, en tous les cas un peu de remise en perspective s’impose. Perspective des objets, mais aussi et surtout de l’individu.

   

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De la photographie à l’installation, en passant par la discothèque

 

Durant ses premières années aux Beaux-Arts, c’est par la photographie qu’elle met en perspective les choses. Maisons vue de l’extérieur, salon et cuisine, quotidien de la ménagère ou encore pique-nique estival aux pieds d’un arbre, ces images ne correspondent pas forcément à ce qu’elle en attendait, plus précisément à ce qu’elle attendait comme matériau créatif. Pour Cécile Chaput, il faut donc gérer avec cette réalité qui s’offre sous ses yeux, une réalité qu’elle cadre avec « de grosses caisses américaines ». Progressivement, de la création de la réalité qui l’intéresse elle passera à la recréation d’une pièce, et de là découlera toute une logique d’installation. A la manière de Martha Rosler qui détourne les objets du quotidien, il s’agira alors de se réapproprier, de remettre en valeur, en lissant, en plastifiant ses matériaux. C’est sa troisième année aux Beaux-Arts, et au sein de l’atelier de Tadashi Kawamata, où c’est « l’action qui importe plus que la finalité », l’artiste se tourne vers la récupération, et se demande comment avec ces choses jetées peut-on faire du beau et du sublime, comment peut-on faire des stars avec ces encombrants dont personne ne veut. Plus que les années 50, c’est un goût pour les objets d’avant qu’elle développe. Un goût de faire et de reprise de ces objets, qu’elle met en rapport au corps, à l’espace. Et comme pour appuyer cette production à partir de matériaux existants, l’artiste m’expliquera qu’elle joue les DJ en parallèle. Penchant plus du côté du rôle de musicien que de l’animateur, quelque part, les installations sont elles aussi affaire de sélection, de mixage, de diffusion, tout cela à destination d’un public. Et si les morceaux de formica s’enchaînent dans l’espace parfois les uns après les autres, ce sera toujours en fonction de ses propres choix et non de l’envie de ses « auditeurs ».

 

De la Villa Emerige à l’under construction gallery

 

Nous sommes fin 2014. Parce qu’elle fait partie des sélectionnés du Prix Emerige, Cécile Chaput exposera the flattened corner à la Villa rue Robert Turqua. Au coin, si un tant soit peu la perspective mise en place laisse planer le doute sur cet angle, le lino vient grimper le long de l’arrête centrale. Derrière lui, un papier peint fleuri s’étend sur les côtés. Et entre ces deux plans, des meubles aux étagères décadentes, quand celles-ci ne vaquent pas librement de leur côté. S’il y a bien une table sur laquelle travailler, s’il y a bien une chaise sur laquelle s’asseoir, il n’est pas dit que l’utilité de ces objets soit certaine, tellement leur orientation vacille, tellement tout semble s’autonomiser sans que l’on n’ait besoin de venir plus près les activer à la manière d’un pop-up à déployer. Des portes qui ne sont pas faites pour s’ouvrir, des armoires qui ne sont pas faites pour ranger des affaires, à se demander si l’attention portée à la ménagère ne la pousserait pas ailleurs que dans son salon ou sa cuisine. C’est cette installation que Mireille Ronarch verra entre novembre et décembre sur internet, cette installation qui opèrera chez la galeriste telle une Madeleine de Proust, et la poussera à rencontrer l’artiste et travailler avec elle à l’under construction gallery.

   

Février 2016, extension(s) – the detonate(d) room est en cours. Si l’angle est toujours de mise avant même de rentrer, il y a déjà autre chose qui s’active. De la pièce qui occupe tout ou presque l’espace de la galerie, nous en avons trois points de vue. D’abord, passage des gravilliers derrière la vitrine, elle s’offre à nous dans tout son semblant de réalité. Là seulement le mobilier visible ne se contentera pas de simuler son utilité. La table et les deux chaises sont bien faites pour s’asseoir, l’armoire pour ranger. Passé la porte, on retrouve un espace un peu plus familier, quoique les murs de papiers peints débordent des murs blancs de la galerie. Pas simplement un angle de mur mais plusieurs, comme un prisme imparfait que l’on aurait éclaté pour le pénétrer, au-delà des éclats déjà en présence. Si le lino tente par endroits de remonter le long des parois, il faut bien constater que l’ensemble commence à se détacher de ses plans d’origines, comme si à force de s’autonomiser, les objets en venaient à déborder le long de notre passage, prenant alors lentement mais sûrement leur statut d’encombrant revalorisé. De l’autre côté, le fond de la galerie, et avec lui l’artifice qui se révèle : la construction et la délimitation du champ d’expérimentation des éléments en présence, à la manière d’un plateau de tournage, celui hypothétique d’un soap opéra des années 50, en couleur. Si pour la galeriste under construction n’était qu’un nom provisoire, force est d’admettre qu’avec Cécile Chaput le lieu porte bien son nom, et l’une avec l’autre l’action en cours plus que la finalité.

   

  

      

 

Et la suite ?

 

Pour Mireille Ronarch, la prochaine étape d’under construction se fera à Art Paris. Grande étape pour les galeristes, s’il en est. Quant à Cécile Chaput, après avoir investi des angles et des pièces, elle me parle d’exploiter une caravane, de plus exploiter la couleur, les éléments sur place. Exploiter aussi le design. Car au-delà de la fierté de la grand-mère qui voit l’exposition de ses objets, à refaire attention aux autres la réjouissance chez l’artiste consisterait à voir ses pièces utilisées. « Ce serait encore plus beau ! »

 

Mathieu Lelièvre

 

Pour en savoir plus 

Cécile Chaput

under construction gallery

Art Paris Art Fair 2016